La coordination des parents d’élèves délégués de Villeurbanne s’est penchée sur la place des directeurs et directrices d’écoles dans la future loi Blanquer.
Pour info, la loi est actuellement en attente de lecture par le Sénat.
Nous espérons que ce petit billet contribue à ce que chacun et chacune se fasse son opinion.
Merci de nous faire remonter vos réactions!
Est-ce que vous vous êtes déjà demandé à quoi sert le directeur ou la directrice de votre école ? C’est lui ou elle qui accueille les enfants chaque matin à l’entrée, appelle les parents des enfants absents, s’occupent des différentes tâches administratives de l’école et de la multitude de ses problèmes matériels, lui ou elle aussi qui anime l’équipe enseignante, prend en charge les enfants qui posent problèmes, ouvre la porte aux parents dont les enfants ont rendez-vous chez l’orthophoniste, reçoit les parents qui le demandent, bref c’est un boulot à 200 %. Le directeur ou la directrice de votre école est là dès 8h et part souvent après 18h.
Le projet de loi Blanquer actuel rend possible la suppression des directeurs et directrices dans les écoles primaires et maternelles. Ils seraient remplacés par des directeurs-adjoints, basés dans les collèges et responsables de plusieurs écoles primaires. L’ensemble écoles primaires du secteur + collège prendrait le nouveau nom d’Etablissement public des savoirs fondamentaux.
C’est vrai qu’il y a des problèmes…
La loi actuelle aborde des problèmes que tout le monde est prêt à reconnaître.
1.Tout d’abord, les directeurs et les directrices sont surchargé-e-s, toujours à courir à gauche et à droite. Notons que cette situation ne s’est pas arrangée, avec la suppression l’an passé des aides administratives (Emplois de vie scolaire ou EVS) qui les aidaient pour toutes les tâches matérielles. Pour info, dans nos écoles à Villeurbanne, 17 postes d’aides administratives (au moins) ont été perdus à cause la suppression des contrats aidés. On ne veut pas discuter ici de la pertinence des contrats aidés pour faire baisser le chômage ; ce qui est certain, c’est que le travail de ces contrats aidés, lui, est bien resté dans les écoles.
La loi Blanquer propose donc de créer des postes à plein temps pour pouvoir effectuer correctement toutes ces tâches.
2.Ensuite, le statut des directeurs et directrices n’est aujourd’hui pas bien défini : ce sont des enseignant-e-s déchargé-e-s pour s’occuper de faire tourner l’école mais qui n’ont pas autorité sur leurs collègues. Cela les distingue des principaux de collèges et des proviseurs de lycée, qui ont autorité sur les équipes enseignantes, alors qu’au primaire, l’autorité est exercée par l’inspection académique.
La loi Blanquer propose donc d’en faire de vrais chefs d’établissements
3.Enfin, il existe une discussion déjà ancienne pour savoir comment améliorer le lien entre école primaire et collège, ce que les spécialistes appellent « l’école du socle ». On sait qu’il y a en France un problème de transition entre primaire et collège et la loi va dans le sens de créer des ponts en mettant primaire et collège sous un même chapeau, les fameux Etablissements publics des savoirs fondamentaux.
Sur tous ces problèmes, une députée de la majorité, Cécile Rilhac, avait même déjà écrit un rapport dès l’été dernier, avec des propositions que vous trouverez sous :
Mais est-ce qu’on a le droit de discuter les solutions ?
Tout le monde est prêt à reconnaître ces problèmes et à en discuter, heu … discu-quoi ?
Et oui, le premier problème de cette initiative, c’est la méthode. Au départ, le projet de loi visait seulement les zones rurales où les petites écoles sont les plus nombreuses : presque la moitié des écoles en France n’ont pas plus de quatre classes ! Et puis, sans crier gare, un amendement (de la même députée, Cécile Rilhac) a été adopté, généralisant le dispositif à toute la France. Sans préparation (on ne sait même pas si c’est légal) et sans consultation ni en interne au ministère, ni avec les enseignant-e-s, ni avec les parents, l’« école du socle » était créée. Ca a fait comme un choc. Depuis, le Ministre a précisé que, non, finalement, il faudrait l’accord des collectivités territoriales pour créer un EPSF. Bref, peu de discussion et navigation à vue. Pour info, la Mairie de Villeurbanne s’est exprimée pour dire qu’elle ne validerait pas la création d’EPSF sur son territoire.
Deuxième point : a-t-on vraiment pensé aux conséquences pratiques de cette loi dans les écoles ?
Avec les EPSF, il n’y aura plus personne DANS les écoles primaires pour faire le travail que font aujourd’hui les directeurs et directrices. Qui fera l’accueil ? Qui appellera les parents des enfants absents ? Qui ira ouvrir au livreur, aux parents pour les rendez-vous médicaux ? Qui supervisera les exercices de sécurité ? Comme le résume une enseignante, citée par les Echos : « La quasi-totalité des tâches du directeur resteront dans les écoles, diluées sur les deux ou trois maîtres qui ne seront plus ni payés ni déchargés pour ces tâches. Belle économie, joli coup. »
Si vous avez besoin d’un rendez-vous pour votre enfant de petite section, ce sera dans les locaux du collège. Comme les locaux sont les mêmes, des transferts d’élèves deviendraient d’ailleurs possibles : par exemple des élèves de CM1 et ou de CM2 auraient cours dans les locaux du collège. Dans les petites communes (celles qu’on voulait « aider » ?) ça voudrait dire tout simplement la mort de l’école du village … et des kilomètres en plus à faire chaque jour pour les parents.
Dernière chose, pour ceux et celles qui s’intéressent à la vie de leur école : avec les EPSF, fini les Conseils d’école où on peut discuter entre parents et enseignants ou avec des représentants de la Mairie (quand ils ou elles font le déplacement bien sûr!) : tout se passera en conseil d’administration de l’EPSF, où se discuteront les affaires de mille à deux mille d’élèves de 3 à 16 ans !
D’autres solutions ont pourtant été proposées par amendement, notamment par des représentants de l’UDI, plutôt proche de la majorité: par exemple, on pourrait créer des directions d’EPFS collégiales et maintenir en même temps dans leurs écoles les directeurs et directrices de primaire. Mais cet amendement n’a pas du tout été pris en compte.
Finalement, le projet de loi donne sur ce point la désagréable impression qu’on a surtout gardé les yeux rivés sur le compteur à monnaie : moins de décharge de direction, c’est plus d’enseignant-e-s pour combler les manques actuels (vu qu’on ne recrute plus assez) ; un directeur absent des écoles qu’il dirige, c’est du boulot en plus qui reste à faire dans les écoles … gratuitement.
D’où la question : à part pour faire des économies, cette loi répond-elle vraiment aux problèmes actuels ?
C’est ici que s’expriment les plus critiques sur cette loi :
1.La charge de travail : à part le travail purement administratif, les autres tâches resteraient dans les écoles.
2.Un vrai statut pour les actuels directrices-directeurs ? Le vrai chef d’établissement resterait le directeur du collège, le directeur pour les écoles primaires du secteur n’étant que son adjoint. Les actuelles directeurs-directrices seraient quasi voués à la disparition : il y en aurait mécaniquement moins, uniquement recrutés sur concours. Seuls 20 % des actuels directeurs et directrice seraient actuellement aptes à être directeur-adjoint d’un EPSF : drôle de revalorisation de statut !
3.La continuité primaire/collège ? Elle est en réalité absente de la loi, qui ne traite que de « qui dirige qui ». Comme on peut le lire dans un article du Café pédagogique, « La loi Blanquer est la seule loi sur l’Ecole qui ne traite pas de questions pédagogiques ou éducatives ».
Alors évidemment, les EPFS ce n’est pas pour septembre 2019. L’initiative doit venir des collectivités territoriales. On a vu qu’à Villeurbanne par exemple, la chose n’était pas pour tout de suite. Mais combien de temps l’Education nationale acceptera-t-elle de payer des décharges de direction qu’elle ne juge plus nécessaire ? Ce « surcoût » ne va-t-il pas finir par être exigé des municipalités, sur le mode : vous voulez une direction d’école, parfait : payez-la vous-même?
Si vous avez lu jusque ici, vous aurez compris qu’il ne s’agit pas forcément tailler en pièce cette loi Blanquer. Elle aborde de vrais problèmes et on peut saluer qu’ils soient posés. Mais il n’est pas interdit de discuter et parfois de douter des solutions proposées. C’est ce que nous avons tenté de faire ici, en prenant en compte les arguments des uns et des autres. A partir de là, chacun et chacune pourra se faire son opinion.
Pour ceux et celles qui veulent se renseigner à la source :
Cet article présente les Etablissements publics des savoirs fondamentaux de manière très synthétique :
L’article le plus clair et le plus fouillé sur les EPSF, dans une perspective plutôt critique :
http://www.cafepedagogique.net/LEXPRESSO/Pages/2019/02/18022019Article636860701807963311.aspx
Cet article présente la réponse de la députée Cécile Rilhac aux enseigant-e-s qui ont manifesté leur inquiétude
L’article suivant montre (en chiffres svp) que la priorité de la loi est avant tout de faire des économies :
http://www.cafepedagogique.net/LEXPRESSO/Pages/2019/02/18022019Article636860701807963311.aspx
Plusieurs articles relaient les inquiétudes des maires des collectivités territoriales et les réponses apportées par le ministre :
Le point de vue de deux syndicats (souvent divergents, mais là, ils sont d’accord!) :
Pour finir, il est juste de récompenser les infatigables lecteurs et lectrices qui sont arrivé-e-s jusqu’ici ! Rions un peu en cliquant sur le lien suivant :